10 nov 2008

2005


sept heures de route en voiture, neuf ou dix en petit camion, et un étrange sentiment de paix au passage des serpentins gigantesques de feux rouges aux échangeurs de Saint-Arnoult

cinq heures de train inaugurées par Golden Brown et terminées au soleil réverbéré par de grandes pierres étrangement dorées, rosées, claires

une nuit imprévue en bateau, et l’émerveillement des enfants au lever du soleil sur la mer découpée par le hublot de la cabine

dix journées de routes et de vignes, de sable et de sel

dix nuits de poème et de lumière, dix nuits de sel

trois jours de chaleur lointaine, de dialogue interrompu

quinze heures d’avion aller-retour, et sept jours intercalaires

trois mois pour la lente émergence du seul, de l’unique printemps

une heure de vol en Dash-8 entre Québec et Montréal

moins vingt-sept, vers minuit, au seuil d’une maison que passa parfois, autrefois, à la fin de sa vie, Gaston Miron.

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(dites-moi, dites-moi de grâce, qu’y avait-il à voir à son soleil couchant sur une plage où je n’étais pas, à sa grue dans la brume où je n’étais pas avec elle, à toute sa jeunesse de sable et de brume dont je n’ai plus dans la bouche que la pâte de sel)

(chiffres D’ni)

11 nov 2008

Les parachutes


C’étaient ceux-là.

De mes notes, de mémoire, je n’avais retenu que l’orchestration des espaces et des clartés, explosives, encombrées, embarrassées, embrassées, embrasées. Je commentais avec présomption et sans aller à l’évidence. Ils ne pouvaient pas savoir (et je ne savais peut-être pas non plus, si jeune) à quel point un bombardement était pour moi chose naturelle.

Le mistral qui s’était levé ne facilitait pas les choses. A mesure que les heures s’écoulaient, ma crainte augmentait, à peine raffermie par la présence de Cabot guettant sur la route le passage des convois et leur arrêt éventuel pour développer une attaque contre nous. La première caisse explosa en touchant le sol. Le feu activé par le vent se communiqua au bois et fit rapidement tache sur l’horizon.

L’avion modifia légèrement son cap et effectua un second passage. Les cylindres au bout des soies multicolores s’égaillèrent sur une vaste étendue. Des heures nous luttâmes au milieu d’une infernale clarté, notre groupe scindé en trois : une partie face au feu, pelles et haches s’affairant, la seconde, lancée à découvrir armes et explosifs épars, les amenant à port de camion, la troisième constituée en équipe de protection. Des écureuils affolés, de la cime des pins, sautaient dans le brasier, comètes minuscules. L’ennemi nous l’évitâmes de justesse. L’aurore nous surprit plus tôt que lui.

(Prends garde à l’anecdote. C’est une gare où le chef de gare déteste l’aiguilleur!)

Feuillets d’Hypnos, n°53. On peut les lire, sans nom ni copyright et en toute liberté, ici. Je relaye. Le feuillet décoré est reproduit ici.

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11 nov 2008

Herbes d’été


Légèrement retravaillées pour que l’image dessine nettement leurs contours. N’en sommes-nous pas là en permanence? Mais tous nos souvenirs d’été n’ont pas cette chance: avoir crû avec assez d’intensité et de force, et de feuilles, pour qu’un léger déplacement des curseurs suffise à corriger l’image que l’album en gardera.

13 nov 2008

Impressions


Un soir de septembre j’ai balayé du bras le contenu d’une colonne de livres dans ma bibliothèque. Ils sont tous tombés par terre et je voulais continuer, mais Ch. m’en a empêchée. J’ai été pleurer près des herbes du jardin puis je suis revenue ramasser les livres. Je les ai remis sur les rayonnages, en piles désordonnées, et c’est resté comme ça.

De temps en temps, s’il faisait soleil un matin, je me disais que je devrais les ranger, mais jamais assez longtemps pour y arriver. Et puis un soir G. a sorti de son sac une liste de livres à acheter; il a été dans la bibliothèque pour vérifier lesquels on avait déjà, et il est revenu en disant que pour Perec et Voltaire et Ionesco c’était OK, mais pour Beckett et Balzac il ne savait pas trop, parce que c’était dans la zone où les livres étaient restés en pile. Alors je les ai rangés, pour retrouver En attendant Godot que G. lira bientôt. Le Père Goriot, je ne l’ai pas trouvé, même en rangeant tout: ça ne m’étonne pas, je le confonds toujours avec Eugénie Grandet, que je possède assurément, même si je ne l’ai pas retrouvé non plus, il doit être quelque part dans la maison. Tout bien réfléchi et bien rangé je n’ai pas beaucoup de livres de Balzac; et j’ai lu à peine le tiers de ceux que je possède, alors que ceux que j’ai lus je ne les possède pas. Même si on range, c’est encore et toujours le bordel, le bordel.

Mon exemplaire d’Illusions perdues est encore tout neuf. Un bout de papier déchiré marque la page 89. Je n’ai absolument aucune idée de l’époque où je me le suis procuré. Peut-être il y a quatre ans, pour ce grand cours sur les classiques dont personne ne partageait le principe. Ou bien il y a plus longtemps encore, pour le fameux “Bloc IV”: on m’avait dit que ce roman parlait des imprimeurs. Il est encore comme neuf, son large dos encore tout lisse. A peine voit-on, à ses à-plats clairs, cette légère brume jaunâtre des livres qui vivent dans des bibliothèques où l’on fume trop.

Rue d’Argentré, en cherchant le numéro 6, je me demandais si j’allais attendre ou non; je me souvenais avoir attendu si longtemps et si fréquemment, il y a dix ans, alors-même que j’arrivais aux séances avec tant de détresse éperdue et le désir d’être entendue tout de suite et longuement. Cette fois-ci, je n’ai pas attendu du tout, mais de toute façon je n’avais pas pris le livre de Balzac. J’avais hésité. Mais je ne me voyais pas emporter Illusions perdues à mon premier rendez-vous chez ce monsieur de la rue d’Argentré. (La Princesse de Clèves, ç’aurait été plus délicat?) Le volume est trop gros pour mes poches. Et en y pensant bien, ses personnages d’imprimeurs me faisaient plutôt penser à cette explication que j’ai dû donner jeudi dernier dans l’amphi, pour qu’ils comprennent la phrase de Montaigne:

Nous nous escrions, du miracle de l’invention de nostre artillerie, de nostre impression : d’autres hommes, un autre bout du monde à la Chine, en jouyssoit mille ans auparavant.

C’était peut-être inutile. Je ne saurai jamais: je ne reverrai pas ces étudiants.

13 nov 2008

Chaviro


La façon dont les enfants choisissent de parler des mots (presque toujours au dîner) est d’une variété qui devrait me réjouir. Un jour ce sera d’emblée métaphysique, comme cette remarque du plus jeune sur la solitude nécessaire à ses lectures de bandes dessinées (je ne sais trop s’il entendait me signaler un éventuel regret, d’ailleurs, à cette impossibilité bien comprise du livre lu pour lui et avec lui). Un autre jour (plus fréquemment) ce sera, cousu par celui-ci ou celui-là, un point de plus à la grande tapisserie intertextuelle d’une allusion enfin comprise, ou d’une autre encore un peu obscure (cela restera pour moi, je crois, l’exercice préféré de cette triple aventure éducative: rester impassible devant leurs petits visages concentrés sur l’énigme dont ils ne parlent que pour la résoudre eux-mêmes; cultiver le neutre, laisser la réponse disponible, comme une promesse dont on est garant: “Oui, je sais — Non! ne me dis pas, je vais trouver tout seul.”) Dans ma jeunesse comme dans la leur, il restera cette petite fable où résiste longtemps le troisième verset, et dont la solution donne l’étalon d’une toise où s’impriment les marques, non de leurs statures en centimètres, mais de l’âge où soudain, après des années de léger mystère, un large sourire se trace sur leur visage: “CHAMIPATARO! Ça y est! j’ai compris!”

Et puis d’autre soirs c’est le corps, le leur, celui des autres, leur corps-à-corps avec les mots et les machines à écrire. Ils comparent les mains des uns, des autres, l’agilité de leurs doigts sur les claviers, leurs manières et celles de leurs copains. Ils essayent de comprendre ces manières, font des hypothèses, m’interrogent. Je leur explique mes souvenirs de jeunesse, je raconte, mais ils me ramènent à ce qui leur importe: “Où est la machine?” — elle n’est plus là, la machine. Je ne peux pas leur montrer la machine dont mes descriptions les plus minutieuses ne parviennent qu’à peine à leur faire comprendre pourquoi je ne tape qu’avec deux doigts, les deux plus puissants doigts de mes mains (majeurs tapant d’un trait resté parfaitement vertical des touches de clavier de portable qui n’ont pourtant absolument pas besoin de cette force de frappe mise au point il y a vingt ans).

Je ne peux pas leur montrer la machine, et je m’embrouille en leur racontant comment on faisait une ligne de petits soldats en passant quatre fois sur le même cran du rouleau, une fois (, une fois ), une fois ° et une fois /… pour la lance. Ils ont du mal à comprendre. A défaut, ils demandent à voir une feuille, un exemple; j’en descends un des rayons les plus hauts de l’étagère. Sur une page où se devine encore une rectification désastreusement bavée sur un pinceau de blanco pas assez sec, l’aîné comprend le système et pousse des exclamations. Chamipataro!

Quant à lire les quelques pages, ce sera encore pour une autre fois. Peut-être. Rester neutre, replacer le vieux mémoire dans la rangée tout en haut. Tenter de garder aussi pour soi-même la promesse d’un ou deux noms qu’ils auraient pu apercevoir, qu’ils oublieront, et qui reviendront peut-être. Rotentacha….

Machine à écrire aimablement mise à disposition par Luis de Miranda.

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14 nov 2008

Rythmes


Il y a eu les samedis matins, il y a longtemps. Il y a longtemps eu les mercredis, toute la journée. Il y a les vendredis soirs, maintenant. Les rythmes de la vie avec des enfants, qui sont d’abord des bébés, puis des petits, puis des grands. Ça c’est pour l’échelle de la semaine.

Il y a d’autres échelles. Plus petite, celle de la journée; plus petite encore, celle de la nuit. Plus large, celle des saisons, plus large encore, celle des années. Toujours au rythme académique, avec des enfants.

Un vendredi soir comme un autre, avec ses marques, l’échelle intermédiaire de ses horaires et de ses allées-et-venues.

J’attends la nuit, la nuit profonde, celle où ils sont tous revenus, couchés, endormis. Elle vient de plus en plus tard, bruisse d’illusions de plus en plus profondes et qui ronflent, mes vieilles muses, comme ronflent toutes les grosses dames couchées sur le dos. J’attends la nuit, j’attends le moment où même dans les ronflements des vieilles muses, s’élève encore la danse de leurs rêves toujours jeunes, le bras qui porte leur poing serré, la lance et le bouclier…

Poète, prends ton luth et me donne un baiser ;
La fleur de l’églantier sent ses bourgeons éclore,
Le printemps naît ce soir ; les vents vont s’embraser ;
Et la bergeronnette, en attendant l’aurore,
Aux premiers buissons verts commence à se poser.
Poète, prends ton luth, et me donne un baiser.

[Ils devisent longuement avant que le poète renonce:]

Ô Muse ! spectre insatiable,
Ne m’en demande pas si long.
L’homme n’écrit rien sur le sable
À l’heure où passe l’aquilon.
J’ai vu le temps où ma jeunesse
Sur mes lèvres était sans cesse
Prête à chanter comme un oiseau ;
Mais j’ai souffert un dur martyre,
Et le moins que j’en pourrais dire,
Si je l’essayais sur ma lyre,
La briserait comme un roseau.

Musset.

16 nov 2008

Brandenburg


Je ferai quelque chose ici, je le sais. J’y travaille. Tant pis pour l’heure, la vie qui va, et tout le reste. J’y vais.