02 oct 2008

1991-1992


La convention globale a été signée dans le petit village tri-frontalier en 1985, mais le traité instituant “l’espace de Schengen” a été ratifié à Amsterdam en 1997. Pendant douze ans, et surtout à partir de 1990 (convention de suppression progressive des frontières), des postes ont été supprimés, un peu au hasard. Celui de Bettignies était déjà presque désert quand j’ai reçu ma feuille de route et que je me suis installée dans la petite ville près de la frontière, sur la Nationale 2. Pendant les premiers mois, on a vu quelques douaniers encore, tout fantomatiques dans leur guérite ne relevant même pas la tête quand la voiture passait au pas entre les bâtiment de briques rouges bordant la route. Et puis assez vite, plus personne.

On faisait les 5 kilomètres pour aller acheter l’essence en Belgique, où elle était moins chère. A la frontière, côté belge, il y avait encore quelques bâtisses: un petit commerce de chocolats, deux ou trois baraques de change. C’était déjà tout désolé, comme paysage. Je suppose qu’avec la zone euro et la mondialisation tout le monde est parti, maintenant.

Mais il y a des gens qui vont y faire des photos, à Bettignies, qui font des groupes sur Flickr ou des albums historico-méditatifs. Est-ce que fait vraiment réfléchir à Schengen? Moi j’ai l’impression qu’une fois abandonnés tous les postes frontière prennent des allures assez parentes, comme les friches industrielles. Est-ce que la mémoire si précieuse que nous tentons de garder de nos jeunes années se métamorphosera de même, et se reconnaîtra aussi bien dans la forme exacte de son paysage que dans le dessin d’une Amérique fragile?

Les anthropologues post-modernes disent que les non-lieux sont les aéroports, les hypermarchés, les hôtels. Des trucs de grandes villes. Dans un rayon de dix kilomètres autour de Maubeuge, on pouvait se retrouver dans des espèces de vallons pleins de boue, où la route serpentait en perdant mètre après mètre tout ce qui la faisait ressembler à une route, avant de finir en cul-de-sac dans la cour d’une grande ferme en brique fortifiée tombant en ruine. Des non-lieux ruraux où presque aucun repère (une machine, un panneau, quelque chose) ne permettait de dire qu’on était en 1992 et non en 1930 ou en 1902. Juste cette atmosphère d’abandon universel, à laquelle le passage de la frontière nous accoutumait vite.

Le dessin est sur le site d’Aleksandra Sergeevna Zelenina. C’est Koos Fernhout qui a cliché Bettignies. Par le CLANdestin européen on arrive aux albums de Ctortecka et Jostmann: “Schengen - Grenzen”.