10 déc 2008

Yüfferies


Sans les ions chlore et potassium:

— Allez on lance l’impression de la sortie papier, on vérifie, on corrige les coquilles et pendant qu’on réimprime sur le gros Mac je grave les CD sur le petit. Okay? Et pendant le gravage des CD je fais le document 2 de synthèse. C’est le dernier, on y est!
— Bon alors y’a des coquilles sur le document 4, page 7…
— Oh ben c’est pas grave hein, on laisse ce petit tiret qui manque.
— Et aussi page 5…
— Kwâââ? Putaaaaaain, fait chier… Je refais la page 5.
— Et aussi page 4, guillemets en début de ligne…
— Bordel mais faut tout refaire sur ce doc 4! C’est que le deuxième putain! Y’en a 6 autres comme ça et un qui fait 14 pages à vérifier! Bon on en est où là, fais voir? Mais keski s’passe? pourquoi c’est tout gris maintenant?
— Ah ben c’est l’encre je pense.
— Hein? Quoi? On tombe EN PANNE D’ENCRE? Mais je le crois pas c’est pas possible j’hallucine je cauchemarde! C’est que le deuxième, on n’en a fait que 5 pages pleines de coquilles, et on TOMBE EN PANNE D’ENCRE! Et faut encore tout vérifier et graver les CD et je voulais finir ce soir et le doc 2 de synthèse à faire et rien ne va tout est POURRI! Marre! Fait chier! Merde! merde merde merde!

Avec les ions…

— Ah ben faut tout refaire sur ce doc 4, c’est fou. C’est que le deuxième tu sais? Y’en a 6 autres comme ça et un qui fait 14 pages à vérifier, mais bon. On en est où là, fais voir? Ah bah tiens, keski s’passe? pourquoi c’est tout gris maintenant?
— Ah ben c’est l’encre je pense
— L’encre? comment ça l’encre?
— La cartouche, quoi. La panne d’encre.
— Oh je vois, je vois. Tout va bien c’est super. Panne d’encre. Ben comment on fait?
— Chai pas…
— Pour que tu relises et vérifies les doc 4 et 5 et 6 surtout quoi, tu vois?
— Chai pas… Tu les sors en bleu, c’est pas grave, je les relis en bleu.
— Oké je fais ça on y va. [clé USB / iBook / iMac bla bla bla] Bah non! PAS POSSIB’! C’est du PDF, je peux rien changer. Attends je prends le Word. [et re-clé USB / iBook / iMac bla bla bli] Ah ben non dis donc, c’est pas possible non plus!! Ah les vaches avec leurs champs préformatés! On peut pas, en bleu. Ben keskon fait?
— Chai pas… je peux aller chercher une cartouche demain à la première heure…
— Nan, nan, attends, imprimer relire et tout, dans un mercredi, t’es ouf. Bon allez, je te sors tout ça en Word maison, kilométrique, et en bleu, et tu relis, okay?
— Roule!

Finalement c’est pas plus mal cette panne d’encre; entre les coquilles du doc 4, les fautes du doc 6, les comptages et traductions millimétrées (800 caractères ici, 600 là) à faire pour le doc 2, c’était tout à fait prématuré de vouloir finir ce soir. Quatre heures pleines, on y a passé, à rectifier des trucs ici et là et à pédéeffer et re-pédéeffer (”remplacer l’existant?” OUI!).

J’en ai vachement marre de ce dossier! C’est fou! 50 heures presque non-stop que j’y suis! Où est mon potassium? Mon potassium! mon potassium!

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10 déc 2008

1995-1996


Je ne sais ce qui a orienté la Cartographe vers cette nouvelle anecdotique dont elle m’envoie le lien; ma mémoire me fait défaut, sur ce coup. Lui est-il revenu le souvenir d’une conversation? A-t-elle lu le livre récemment? Ou bien il y a longtemps? Quel genre d’intuition, alimentée par quelle mémoire, lui a-t-elle soufflé l’idée?

Je me défie du radotage. Si c’est une conversation ancienne dont j’ai oublié le détail, et pas elle, quelqu’un sera forcément déçu, peut-être même les deux. L’allusion à sa récente lecture d’un autre livre dont, en revanche, je me souviens des commentaires, m’invite à penser qu’elle ignore l’écho qu’elle a lancé dans la montagne des livres. Celui-ci a illuminé l’hiver 1995, après la montagne de travail, les grands défilés des manifestations anti-Juppé qui passaient sous la fenêtre de l’appartement avec leurs ballons, leurs feux de bengale, leurs hauts-parleurs et leurs tambours. G. tout petit n’en manquait aucun. On se postait au balcon avec lui, assis sur le rebord dans l’étau de nos bras serrés sur son petit ventre. Quel spectacle!

Comment le lui faire savoir sans risquer de froisser comme du papier d’aluminium un souvenir qui pourrait alors, de chatoyant qu’il était, se recroqueviller en boule de métal râpeux?

Peut-être en lui citant l’ouverture:

Il gèle, un extraordinaire —18°C; il neige et, dans la langue qui n’est plus mienne, cette neige est qanik — de gros cristaux planent presque en apesanteur, s’amoncellent sur le sol et le recouvrent d’une couche de gelée blanche et poudreuse.

Ou bien un passage comique (le livre en est bourré):

D’après Bertrand Russel, les mathématiques pures constituent l’unique domaine où l’on ne sait ni de quoi on parle, ni dans quelle mesure ce qu’on avance est vrai ou faux.
J’ai le même problème en cuisine. (p.61)

A moins que ce passage plus mélancolique… qui sait?

Il y a mille manières de dissimuler une déprime. Aller écouter un concert pour orgue de Bach à l’église Saint-Sauveur. Etendre avec une lame de rasoir une ligne de bonne humeur en poudre sur un miroir et la renifler avec une paille. Appeler à l’aide.
Réagir, se débattre, c’est la méthode européenne.
J’opte pour la méthode groenlandaise, qui consiste à se complaire dans son malheur. A placer son échec sous un microscope et l’observer tout à son aise. (p.113)

Non?

Ce roman débutant par la carte d’une ville dont les rues forment comme un bouton de rose gelé alors qu’il s’ouvrait à peine?

Ce personnage principal qui a oublié sa langue natale?

Qui ne mange que de la viande, grasse?

Qui s’apprête à passer Noël dans la solitude d’un appartement meublé comme une chambre d’hôtel?

Qui mesure moins d’un mètre soixante et a dix bons kilos de trop de muscle (surtout) et de gras (mais moins)?

Et qui a trente-sept ans?

Non?

Je sens le feu palpiter sous mes joues. Mais ce n’est pas de la timidité. C’est de la colère.
Je ne suis pas parfaite. Je m’intéresse davantage aux mathématiques qu’à mon prochain. Mais j’ai une ancre qui m’empêche de dériver. Sens de l’orientation, intuition féminine, appelez cela comme vous voudrez. Les fondations qui me portent m’empêchent de sombrer. Ma vie n’est pas un modèle d’organisation. Il n’empêche que j’ai toujours un doigt dans l’Espace absolu. (p.53)

Hoeg. Cristaux.

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11 déc 2008

Moins 1


3°C à 19h15 sur le parking. “Risque! Risque! Risque!” clignote furieusement le tableau de bord de la voiture dès que je mets le contact. Pendant que j’écrase la pédale de frein ma main droite se précipite sur le frein à main. Déjà parfaitement serré. Ben risque de quoi? “Risque de verglas Risque de verglas Risque de verglas” défile à présent le voyant du tableau de bord. Pff, c’est tout? Du verglas, ici? Laisse-moi rire, et démarre donc cette voiture bête comme une voiture.

Nuit noire sur le parking et dans les rues. La clé bleue cliquette encore quand le trousseau se balance dans les virages, mais je n’en ai plus besoin: j’ai déclaré au gars du comptoir de prêt que c’était terminé, il peut enlever mes étiquettes bleues du grand planning magnétique. Je ne prendrai pas de projecteur demain. En reposant celui de ce soir dans l’armoire, je me suis dit tout d’abord que j’avais été bien bête de ne pas rendre la clé bleue en même temps tout à l’heure. Puis j’ai réalisé que si je n’avais pas eu la clé bleue je n’aurais pas pu reposer le projecteur dans l’armoire à 19h en utilisant pensivement la clé bleue. Suis-je bête.

Terminé le projecteur, et ce cours du soir. Et demain, pas de projecteur. On cause et on lit. Après tout on est là pour ça non? Pour lire.

Barrières à moutons bien plus jolies sur le portfolio de J. Le Bail.

12 déc 2008

Moins 2


2°C au démarrage de la voiture à 11h du matin. Je dédaigne le clignotement du tableau de bord (”Risque, risque, risque de verglas”) et m’en vais à la dernière séance du “cours raté”. Grand soleil pour le petit café que j’avale juste après: on a dû atteindre les 7°C, là où l’ombre s’est dissipée. Puis le ciel devient blanc et brillant — mon père autrefois, dans la voiture, avait toujours un commentaire sur ce ciel blanc trompeusement non ensoleillé: “Ça brille tellement qu’on en est presque plus ébloui que par du soleil”, lançait-il à nos attentions enfantines franchement peu concernées par le phénomène. Des années plus tard, j’ai pu vérifier ses dires: les lunettes photochromatiques de Ch. s’assombrissent toujours sous ce genre de ciel blanc. Je n’avais pas besoin qu’il m’explique pourquoi, je me souvenais bien des radotages de papa.

4 Français parmi les 5 Européens sélectionnés pour l’expérience de confinement préparatoire à l’expédition sur Mars envisagée en 2030. Tous des hommes. “Etudier les effets que l’isolement peut avoir sur différents aspects physiques et psychologiques, comme le stress, les hormones, les défenses immunitaires, la qualité du sommeil ou l’humeur” était sans doute bien suffisant pour ce beau monde. Du sang, des seins, des cycles à discipliner, ça aurait fait trop…

12 déc 2008

Moins 3


5°C en sortant, mais certainement moins deux heures plus tard. On règle rarement la chaudière au-delà de trois, et ce soir il fait péniblement 19° dans la maison alors qu’elle est sur 5.

Je ne sais pas ce qui a le plus fait rire les quelques rescapés du groupe d’étudiants (sept ou huit): une variation sur Thyeste bouffant ses enfants (alors eleou ou phobou? hein?), un “pauvre chou” lâché sans faire exprès à propos d’Oedipe? La glose du volume n°1024 de la série Anticipation, celle des “Montagnes mouvantes” (n°444)? Peut-être une ou deux reformulations un peu olé-olé de la sévère ethnologie-fiction de madame née Kroeber? Ou le ton il est vrai un peu emphatique adopté pour leur lire un incipit de récit anthropophagique? Dire que j’ai failli inverser l’ordre de mes deux heures de blabla, y renonçant de justesse (dans le dernier escalier avant d’arriver) sur l’idée qu’il serait sans doute incongru de retourner à Athènes après avoir tâté du Gethen, Geta et autres Tyranaëls — bref, sur une idée consistant à éviter le pire, non à chercher le meilleur. L’ordre choisi leur a si bien convenu qu’ils ont dit merci, quand j’ai refermé mon dossier. C’est bien la première fois que des étudiants me disent merci à la fin d’un cours. Ça valait bien une entorse à la règle de ne point parler précisément d’eux — et un jonglage de fin de partie. L’un et l’autre, de toute façon, ne sont pas près de se représenter.

Joli et laissé à l’abandon sur un vieux blog de Thomas Batzenschlager, apprenti architecte malgré ce nom romanesque.

13 déc 2008

NC


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November Charlie

November Charlie

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argo

14 déc 2008

Issue lumineuse


Quand la bibliothèque est trop pleine, quand on étouffe dans des livres qui ont accumulé sur les étagères tous les rêves, les illusions, les utopies, les ambitions, les petits plaisirs simples (un manuel de tricot, un livre de recettes) et les grands horizons, lorsqu’on étouffe dans une vie qui n’a su qu’accumuler des livres sur des étagères, on doit cesser de lire pour un temps, ouvrir la fenêtre, partir. Il n’y a pas de raison d’avoir si peur: les livres vraiment importants viendront, le moment venu, suivront le chemin qu’on a pris et sauront nous retrouver. La lumière de l’issue ne promet pas d’être toujours bienveillante, elle peut éblouir, brûler, délaver, dessécher. Les pages qui y résisteront sont celles qui valaient vraiment la peine. Les autres resteront là, en petits cairns d’illusions perdues, et se compacteront petit à petit, comme de l’humus où poussera la bibliothèque de quelqu’un d’autre, peut-être ravi d’y déterrer quelques feuilles qu’il aimera, peut-être seulement content d’en faire des briques, des pavés, des matériaux. On n’en saura rien. On sera parti.

Da Silva